«Les Tunisiens connaissent très peu l’Afrique subsaharienne. », fait savoir Amadou Kamara, un citoyen mauritanien appartenant à la communauté noire. Il faut dire qu’il n’a pas tort.
Secouée par de nombreux coups d’Etat sur une période de trois décennies (1978-2008), la République islamique de Mauritanie a connu, avant-hier, la première passation de pouvoirs de son histoire entre deux présidents élus, avec la prestation de serment de l’ex-général Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani qui succède à Mohamed Ould Abdel Aziz.
Ce premier passage de relais est non seulement une première dans ce pays, l’un des fondateurs, le 17 février 1989, au palais royal de Marrakech (Maroc), de l’Union du Maghreb arabe (UMA), mais aussi dans le monde arabe.
Toujours dans la case de pionniers, on a tendance à oublier que bien avant feu Mohamed Morsi (Egypte, le 30 juin 2012) et feu Mohamed Béj Caïd Essebsi (Tunisie, le 31 décembre 2014), le 19 avril 2007, le Mauritanien Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi devint le premier président civil et arabe élu démocratiquement de l’histoire de la région et de facto de son pays.
Ancien ministre de l’Économie dans le gouvernement de Moktar Ould Daddah (1971-1978) et ex-conseiller économique pour le Koweït (1982-1985 et 1989-2003), le président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi fut renversé le 6 août 2008 à la suite d’un coup d’État militaire mené par le général Mohamed Ould Abdel Aziz.
En moins de quinze ans, la présidence du premier président arabe élu démocratiquement fut marquée surtout par « un nouveau dispositif législatif et policier punissant plus sévèrement l’esclavage »: des peines allant de cinq ans à dix ans de prison pour les propriétaires d’esclaves et contre les fonctionnaires de l’Etat trop laxistes ou corrompus.
Outre sa promesse électorale prônant le retour des « réfugiés négro-mauritaniens » au Sénégal, son leadership fut illuminé par plusieurs réformes: la création d’une banque de céréales pour lutter contre la crise alimentaire mondiale de2007-2008, la subvention des prix du gaz et de l’électricité, la suppression des taxes douanières sur le riz ainsi que la signature de plusieurs décrets pour barrer la route à la famine dans les zones moins accessibles sans oublier ses mesures phares pour faciliter l’accès aux logements à Nouakchott.
Malheureusement, les militaires voulurent autrement dans un pays englué dans des problèmes économiques et communautaires.
En effet, à part le problème persistant de l’esclavage, la Mauritanie porte jusqu’à nos jours les stigmates d’une fracture sociale et des disparités persistantes entre communautés haratine (descendants d’esclaves de maîtres arabo-berbères, dont ils partagent la culture-Ndlr), arabo-berbère et afro-mauritanienne, généralement de langue maternelle d’ethnies subsahariennes.
Et si la victoire d’El Ghazouani, dès le premier tour avec 52% des suffrages, a été à tire-d’aile saluée par Paris, Alger, Rabat, ou encore Bamako, le défi du nouveau président demeure incontestablement de rassembler au maximum un peuple déchiré par des siècles de haine raciale tout en fédérant au maximum les forces vives du pays, notamment l’opposition.
Certes, la République islamique de Mauritanie a toujours montré la voie de la démocratie dans une région allergique aux changements, mais comme l’a si bien dit Abraham Lincoln: « La démocratie. c’est le gouvernement du peuple, par le peuple pour le peuple. »
Après tout, la réussite de toute démocratie et sa prospérité économique riment avec sa stabilité politique et le respect des droits de ses minorités. Pour la Mauritanie, toute la question est là… On croise les doigts !